Témoignages. “La guerre a fait de moi une femme plus forte”

Témoignages. “La guerre a fait de moi une femme plus forte”

Avoir 20 ans dans un pays en guerre, c’est voir ses rêves, ses projets, son avenir se fracasser sur une triste réalité. Celle de la violence et de l’isolement. Deux jeunes Yéménites racontent à quel point la guerre à changer leur vie.

Alors que les yeux du monde entier étaient rivés sur la ville d’Alep, symbole de la tragédie syrienne, en fin d’année, le Yémen bouclait, dans un silence troublant, sa deuxième année de guerre civile. La vie de ses habitants est un peu plus compliquée depuis que le conflit s’est internationalisé. Pour rappel, en mars 2015, l’Arabie Saoudite forme une coalition de 10 pays arabo-musulmans – dont l’Algérie ne fait pas partie – et lance une opération aérienne militaire au Yémen. Officiellement, le royaume de Riyad veut contrer les rebelles houthistes, d’obédience chiite.

Survie

Prise en étau entre des puissances étrangères et des groupes islamistes, qui ont prêté allégeance à Al-Qaïda, la population yéménite résiste tant bien que mal. Selon l’ONU, plus de 10.000 personnes ont été tuées depuis le début de cette “guerre oubliée”.

Au Yémen, certains jeunes font plus que survivre. Ils s’engagent dans la vie associative pour changer le quotidien de leurs concitoyens. C’est le cas de Baghdad Abdullah et Mohammed Al Mahdi. Tous deux ont 25 ans et vivent à Sanaa, la capitale du Yémen. Ils ont accepté de se confier.

Baghdad : “J’ai gagné en confiance”

Baghdad Abduallah est journaliste. Militante féministe, elle réalise depuis le déclenchement de la guerre un documentaire sur la situation des droits de la femme dans son pays. Malgré les menaces de terroristes, Baghdad ne se laisse pas démonter :

“Avant la guerre, je menais une vie très simple. J’allais au travail, je rentrais chez moi, je profitais de la vie. Le début de la guerre a entraîné une grosse frustration pour moi parce que j’étais contrainte de passer la plupart de mon temps à la maison. Le temps passait, la guerre durait toujours. Je voyais les plus belles années de ma vie défilaient sans vraiment en profiter.

J’ai la chance que mon mari me soutient à 100% dans mon projet.

La guerre a été un déclic pour moi. Elle m’a fait prendre conscience des inégalités entre les hommes et les femmes. J’ai alors compris que je pouvais, que je devais me battre pour les droits des femmes dans mon pays et faire entendre ma voix dans les centres de décisions. C’est pourquoi j’ai décidé de m’engager auprès d’associations, faire du bénévolat et faire témoigner des femmes dans un film documentaire.

J’espère que ce film persuadera des femmes à s’émanciper et à prendre leur place dans la vie publique et politique du Yémen. J’ai la chance que mon mari me soutient à 100% dans mon projet.

Avec le recul, je remarque que la guerre n’a pas eu que des côtés négatifs.

Mon projet de film est retardé. Il n’y a aucun doute que tout conflit dans n’importe quel pays freine les projets et les ambitions des jeunes. En l’absence d’un pouvoir politique et l’absence de lois pour me protéger et avec la prolifération des milices, j’ai fait face à plusieurs difficultés ce qui m’a contraint à mettre entre parenthèse mon projet pendant plusieurs mois.

Un soir, un groupe de terroriste est venu à mon domicile. Ils ont tiré sur les fenêtres. Heureusement, il n’y a eu aucun blessé. C’était un appel à l’ordre pour m’empêcher de poursuivre mon combat pour les femmes. Mais j’irai jusqu’au bout de mon projet !

Avec le recul, je remarque que la guerre n’a pas eu que des côtés négatifs. Elle a fait de moi une femme plus forte, je me suis révélée à moi-même. J’ai aussi plus confiance en moi.

La situation à Alep est tragique mais ça n’oblige pas à oublier les autres pays qui souffrent d’un conflit international ou d’une guerre civile, comme c’est le cas au Yémen. Pourquoi les médias étrangers ne parlent pas de nous ? Je pense que c’est dû au fait que des puissances ont intérêt à concentrer l’attention sur la Syrie et à faire oublier d’autres crises, comme au Yémen, en Libye ou encore en Irak.”

Mohammed : “J’aide les Yéménites à “fuir” la guerre par le cinéma”

Mohammed est un mordu de cinéma dans un pays où toutes les salles obscures ont été fermées. Malgré la guerre, ce jeune homme sans emploi continue de se battre pour faire connaître le septième art à ses compatriotes :

“Avant la guerre, ma vie était tellement intéressante et remplie de joies. Je suivais un double cursus : langue française et journalisme à l’université de Sanaa. Je regardais jusqu’à trois films par jour, je sortais avec mes amis. Je voyageais souvent à l’intérieur du pays. Mais la guerre est venue et tout s’est arrêté. Pendant plus de 20 mois je n’ai pas pu mettre les pieds en dehors de ma ville.

Je suis curieux de voir où les bombes tombent parce que ça me déprime de les entendre mais de ne rien entendre sur les médias

La guerre a commencé à Sanaa le 25 mars 2015. Quand on a entendu les premiers bombardements, les écoles se sont fermées, les universités aussi, le pouvoir s’est exilé. La vie s’est arrêtée. Malgré tout, je continue à sortir dans la vielle ville, là où je vis, pour surveiller les frappes aériennes jusqu’à 3 heures du matin. Je suis curieux de voir où les bombes tombent parce que ça me déprime de les entendre mais de ne rien entendre sur les médias à propos des attaques. C’est pourquoi je regarde tout le temps par la fenêtre, par le toit, voire carrément en allant sur place à moto ou à pied.

La vie est alors redevenue “normale” à ceci près que les bombardements aériens et les attentats terroristes font désormais partie de notre quotidien.

J’ai tenté de survire en lisant des livres, en sortant avec mes amis et en dormant beaucoup. J’étais dégoûté parce que j’aurais aimé pouvoir voir des films au cinéma, terminer ma licence, tomber amoureux de quelqu’un. Mais il y avait des coupures d’électricité, pas d’écoles ouvertes ni personne à aimer.

Après cinq mois de guerre, on est retourné à nos études pour une semaine, on a enchaîné avec des examens de fin d’année et on en a débuté une nouvelle année. La vie est alors redevenue “normale” à ceci près que les bombardements aériens et les attentats terroristes font désormais partie de notre quotidien. J’ai fini par m’habituer à cette situation et le manque de services de base : accès à l’eau, à l’électricité, à l’essence etc.

En février 2015, je travaillais sur la préparation d’une projection de films yéménites et internationaux dans des établissements scolaires à Sanaa mais la guerre nous a arrêtés. Mais on y est parvenu en novembre 2016 grâce à un partenariat avec des organisations non gouvernementales. Et depuis on ne s’est plus arrêté de diffuser des films, que ce soit dans des bureaux d’ONG, des universités, des cafés ou des écoles.

Ils avaient l’air si heureux de pouvoir parler de films et de “fuir” la guerre pendant un moment.

A ce jour, nous avons organisé 42 événements ainsi qu’un festival international du Yémen à Sanaa, où, durant deux jours, nous avons montré des films yéménites grâce à la participation à Yemen Peace Project. Les habitants de Sanaa se sont pressés pour assister à ce festival et de jeunes réalisateurs et journalistes étaient aussi présents. Ils avaient l’air si heureux de pouvoir parler de films et de “fuir” la guerre pendant un moment.

Mon projet progresse parce qu’il est arrivé à un moment où la crise a éclaté à Sanaa. C’est devenu ma lumière dans cette obscurité. Jusqu’à maintenant on continue de projeter des films et les gens continuent de venir et se divertir.

Il y a un gros silence sur ce qui se passe au Yémen, on ne parle pas non plus le nombre élevé de civils tués par les Saoudiens et la guerre civile. L’Arabie Saoudite joue de son influence sur les ONG et les médias pour qu’ils se concentrent sur la guerre en Syrie et oublient le Yémen.”

Djamila Ould Khettab

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