Les médecins résidents en grève, environ 9 000 étudiants, poursuivent leur mouvement. Principal grief : l’obligation d’effectuer le service civil. Mais le ras-le-bol est plus profond. Témoignage d’une résidente en pédiatrie.
“Je m’appelle Amina Fedjer, j’ai bientôt 28 ans. J’habite les environs d’Oran et je suis résidente senior en pédiatrie aux hôpitaux d’Oran. Un métier de rêve pour certains mais à mes yeux un métier au milles facettes.
Au primaire, je voulais comme tous les enfants devenir une star. Au collège, je voulais devenir avocate et une fois au lycée je savais que je deviendrais médecin si je réussissais bien à l’école.
Je finis par rejoindre les bancs de la faculté de médecine d’Oran, un périple périlleux certes mais tellement attrayant. Voir mes aînés diagnostiquer des maladies et soulager des malades dans des conditions de travail peu favorables et avec très peu de moyens me fascinait autant que ça me réconfortait sur mon choix de devenir médecin.
Je devais faire le « sale boulot » de tout le monde sans même être payée et sans aucune considération.
En 7ème année de médecine, j’étais devenue interne. J’avais toute une année pour faire des stages dans des hôpitaux et préparer le concours du résidanat. Un concours qui m’ouvrait les portes de la spécialisation. Cette année-là était très rude pour moi, j’étais longtemps livrée à moi-même. Concernant la formation, on me confiait le travail de l’assistante sociale, de l’infirmier, du commissionnaire et du médecin résident. Je devais faire le « sale boulot » de tout le monde sans même être payée et sans aucune considération.
Je croyais qu’entamer une spécialité me comblerait. J’aurais réalisé mon rêve. J’aurais été au service de mes malades le matin, me serais enfermée dans les bibliothèques le soir. Tant pis pour ma vie privée qui en prendrait un coup. Tant pis pour mes soixante heures de travail par semaine. Tant pis pour mes gardes non rémunérées. Enthousiaste, ce fut dans cette optique j’entreprenais ma spécialité.
Hôpitaux délabrés, sales, peu accueillants, sans aucune gestion, établissements de fortune, médecine de guerre, un manque accru de moyens humains et matériel, une surpopulation en consultation et en hospitalisation, la pénurie des médicaments et d’équipements. Mais aussi l’insécurité, la violence, les agressions, le vandalisme, le viol des lois du travailleur… L’hôpital algérien m’en a fait voir de toutes les couleurs.
Le résidanat m’a forgée
Le résidanat m’a changée à tout jamais. Je côtoie une population qui m’effraie, j’ai peur pour ma sécurité durant mes gardes. Ces gardes que je passe dans les pires conditions ne font qu’altérer mon état physique et mental.
Heureusement, il n’y a pas que du négatif dans les hôpitaux algériens. L’auto-formation nous propulse et nous forge, on sauve des vies avec très peu de moyens et ça nous comble. On en perd quelques-unes et ça nous déchire et on sombre. On travaille avec les moyens du bord et Dieu sait qu’avec le peu qu’on a nous faisons des miracles.
J’ai longuement pensé à mon avenir. Devrais-je m’exiler ? Devrais-je accepter de survivre dans cette précarité ? j’ai fini par abandonner toute vie sociale. Tout me rattrapait : Les heures colossales au travail, les gardes non récupérables, mes weekend libres enfermée à la bibliothèque. J’ai fini par sombrer dans une dépression. J’étais négative, j’avais perdu goût à la vie. J’étais entée dans une spirale sombre.
Médecins algériens, citoyens de seconde zone ?
J’ai demeuré ainsi jusqu’à que la conscience de mes confrères se réveille. L’élite s’est manifestée, les médecins algériens veulent retrouver leurs dignité. Ils réclament des conditions dignes au travail, ils réclament plus de moyens, plus de considération, plus de sécurité. Ils veulent aussi une meilleure prise en charge de leurs concitoyens.
J’aimerais savoir : les médecins algériens sont-ils des citoyens de seconde zone dans leur propre pays ? Pourquoi tous les trentenaires Algériens sont acquittés du service militaire. Tous. Sauf les médecins ? Pourquoi le service civil ne concerne-t-il seulement les médecins ? Pourquoi mon diplôme est-il retenu en otage au ministère jusqu’à ce que je m’acquitte du service civil ? Pourquoi ce dispositif est-il encore obligatoire ? Pourquoi je ne peux bénéficier ni d’un congé maternel, ni d’œuvres sociales, ni de regroupement familial, ni de transfert durant ce service civil ? Et pourquoi même le droit de démissionner m’est retiré ?
Pour avoir manifesté pacifiquement, du sang a coulé sur la blouse blanche.
Pour avoir manifesté, mes confrères ont été tabassés par la police civile à l’hôpital Mustapha Pacha à Alger le 3 janvier dernier. Pour avoir manifesté pacifiquement, du sang a coulé sur la blouse blanche. L’opinion publique à été indignée, un élan de solidarité a été exprimé par le peuple dans la rue comme sur les réseaux sociaux. Les médecins algériens ont gagné en assurance. Une marche a ainsi été organisée à Oran le 9 janvier dernier, rassemblant 12 000 blouses blanches. De l’externe au professeur, on a marché main dans la main, pour rendre à la blouse blanche sa dignité perdue depuis des décennies.

Depuis, les négociations avec la tutelle suivent leur cours. De mon côté, je participe aux piquets de grèves, aux réunions et aux sit- in. Je ne suis pas syndicaliste, je ne fais pas partie du comité des médecins résidents. Je me mobilise à ma façon, en essayant de médiatiser notre cause noble.
Je souhaite que les médecins algériens retrouvent leur dignité. J’espère que nos malades bénéficieront d’une meilleure prise en charge. Et j’attends que la tutelle réponde favorablement à nos revendications. Les médecins algériens comme les malades sont depuis longtemps les otages de la médiocrité du système de santé du pays.”
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