Une rédactrice d’Inty a participé à son premier Raconte-Arts, le festival d’arts de rue itinérant organisé chaque année dans un village différent de Kabylie. De retour de son séjour à Aït Ouabane, elle partage avec toi une soirée féerique à laquelle elle a assisté. Au programme : des contes, des contes et encore des contes !
A la rédaction, le mot d’ordre était clair : tu fais ce que tu veux, tu couvres Raconte-Arts comme tu le sens, tu es une journaliste libre. Mais, tu n’as pas intérêt à rater la “Nuit du conte” ! On est comme ça à la rédaction : cool et exigeante !
J’ai donc réservé ma soirée du jeudi 27 juillet pour assister à cet événement. J’étais intriguée et impatiente de sa savoir ce que ce rendez-vous organisé dans un village de moins de 5.000 âmes, avalé par le Djurdjura, a de si spécial pour qu’on en parle jusqu’à Alger.
Et même au-delà. Car, sur place, j’ai tout de suite remarqué que nous n’étions pas entre nous, entre Algériens. Sarouel, tunique, dreadlocks et coups de soleil. J’ai très vite repéré le look et la dégaine des Européens abonnés aux festivals underground et altermondialistes. Se sont-ils égarés ? Comment ont-ils atterri là ?
Village en fête

La soirée était programmée à partir de 22H. Avec un léger retard, je quitte la grande place du village, surmontée d’une mosquée ouverte et bondée de monde. Ici, on ne prie pas. Le rez-de-chaussée de la mosquée a été investi par les organisateurs du festival Raconte-Arts, qui l’utilisent comme un bureau d’enregistrement des nouveaux arrivés, tandis qu’à l’étage des festivaliers, aux allures de vagabonds avec leur sac de couchage et leur baluchon, roupillent déjà. Pour rallier le point de rendez-vous, il faut suivre les flèches dessinées sur des affiches accrochées tout au long du parcours. Je traverse ainsi l’artère principale d’Aït Ouabane avant de bifurquer sur un chemin construit à flanc de colline. L’allée est plongée dans la pénombre. Plus j’avance, moins j’entends le joyeux tintamarre qui résonne dans le village.
Raconte-Arts c’est un peu comme si la Fête de la musique durait une semaine non stop.
“La Nuit du conte” n’est pas le seul programme de la soirée. Comme chaque jour et chaque nuit du festival, qui s’étend sur une semaine, des dizaines de spectacles sont proposés dans tous les recoins du village. A Raconte-Arts, il n’est pas rare de croiser un artiste vous inviter lui-même à l’animation qu’il improvise sur un bout de trottoir. Certains pourront regretter un manque d’organisation. A mon avis, c’est cette cacophonie qui caractérise ce festival d’arts de rue et qui en fait son succès. Raconte-Arts c’est un peu comme si la Fête de la musique durait une semaine non stop.
Rendez-vous au cimetière
Je ne vois toujours pas le bout de l’allée. Je marche entre les arbres et les ronces, comme si je passais d’un monde à un autre. Et puis, je grimpe deux marches et je tombe nez à nez avec une partie du public. Les ponctuels ! Certains chanceux ont trouvé une place sur le muret tandis que d’autres, ingénieux, se sont aménagés un coin agréable au milieu des bougies. J’ai ensuite vu la scène : quelques planches en bois recouvertes de tapis. Ce n’est qu’à cet instant-là que j’ai compris où nous étions. La “Nuit du conte” de la 14è édition du festival itinérant Raconte-Arts va se dérouler dans un cimetière et face au mausolée d’Aït Ouabane. Les morts comme les vivants auront donc droit au spectacle !
Le show n’a pas encore commencé. Sur scène, un conteur venu d’Afrique subsaharienne, chef d’orchestre de la soirée, dicte les règles. Elles sont assez simples : pas de sonnerie de téléphone, pas de bavardage, pas d’interruption, pas de sortie au milieu d’une représentation. Bref, du respect ! La parcelle s’est rapidement remplie de curieux. On doit être une centaine mais entre les tombes et le wali Sidi Mhand Ouamrane on a l’impression d’être en petit comité. Un comité de privilégiés !
Polyglotte

Le spectacle peut enfin commencer. Les conteurs défilent à tour de rôle. D’abord, des artistes locaux. Puis, des Algériens venus d’ailleurs. Et enfin, des étrangers. Les langues s’entrechoquent, les accents s’entremêlent. On passe du tamazight au darja, en faisant un crochet par le français et en revenant au tamazight. On ne comprend pas tout le temps mais l’intonation, le débit et le jeu des conteurs nous aident à suivre le fil de l’histoire. On se surprend à rire d’un récit dit dans une langue qu’on ne connait pas. Il paraît même qu’une année un conte a été récité en chinois et que le public a ri à gorge déployée !
Les conteurs sont tous habités par leur histoire. On voyage avec eux dans un univers où des oranges se transforment en jolies filles, où des ogres menacent de faire la peau au héros, où le monde est penché dans les yeux d’un garçon…
Comme des enfants
Sur scène, on voit toutes sortes de conteurs. Il y a les mama avec leur tablier kabyle, celles en robes de soirée, celle qui rythme son histoire à coups de djembé, celui qui joue du tambour, il y a aussi le duo complice qui répète dans un autre langue ce que vient de dire son comparse… Et nous, dans le public, on est comme des gamins. On replonge en enfance. Je ne crois pas avoir entendu pareille histoire depuis une vingtaine d’années. Une éternité !
Sans que je ne m’en aperçoive, les heures s’égrènent. Il est presque 2 heures du matin. Dans l’audience, certains commencent à piquer du nez, d’autres sont déjà lovés dans leur duvet. L’animateur de la soirée, vêtu d’un polo vert et d’un sarouel à motif, nous prévient : on en est qu’à la moitié du programme. La nuit va durer jusqu’au petit matin. Il lance un cri de guerre façon All blacks pour redynamiser les troupes. On lui répond en chœur et c’est reparti pour une tournée de contes…
Auteur

- Co-fondatrice d'Intymag.com
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