Cette semaine on m’a forcé à débattre, à argumenter et à me justifier sur un sujet qui n’est pas “débattable” ou justifiable. “Alors toi aussi tu es du mouvement #metoo ?”, “ben alors tu ne balances pas ton porc ?”. Tantôt teinté d’amusement, tantôt de mépris. D’un côté on me reprochait de ne pas avoir participé à “la campagne” et de l’autre on me reprochait d’avoir été capable de le faire. Je n’ai pas compris.
J’ai appris à me taire lorsqu’un collègue, présent alors que j’ai été victime d’attouchement en plein travail, m’a dit “Tu es allée faire un article dans un milieu masculin, tu te doutais bien que l’un d’entre eux allait te tripoter”.
Oui je n’ai pas tweeté, ou retweeté, posté ou partagé. Mais j’ai lu avec dépit, dégoût et lassitude ces messages venus du monde entier dont beaucoup d’Algérie. Pourtant j’aurais pu écrire moi aussi. Des histoires qui m’ont mis mal à l’aise, fait pleurer et rendu malade, j’en ai des dizaines. J’ai seulement décidé de les raconter à des personnes prêtes à les écouter sans me juger. J’ai choisi de les raconter à un public restreint, pour ne plus souffrir autant que cette fois où j’ai raconté à un rédacteur en chef que j’avais été agressée dans la rue et qu’il a tout simplement ri en me disant : “tu es désormais une vraie Algérienne”.
J’ai appris à me taire lorsqu’un collègue, présent alors que j’ai été victime d’attouchement en plein travail, m’a dit : “Tu es allée faire un article dans un milieu masculin, tu te doutais bien que l’un d’entre eux allait te tripoter”. J’ai appris – malheureusement – à moins dire, à me censurer pour oublier et ne pas subir une double peine. Je n’ai pas ressenti le besoin de l’écrire en 140 caractères, mais d’autres femmes oui. Je le comprends.
Ces femmes ne sont même pas dans la revendication, elles ne se posent pas comme militantes, elles ont seulement exprimé leur besoin de cracher le morceau. De dire à d’autres femmes : je te soutiens, je sais. Tout simplement de dire que c’est terriblement douloureux, de se sentir comme un morceau de viande, une moins que rien. De dire que notre corps n’est pas une propriété publique, notre dignité n’est pas flexible. De dire que ce n’est tout simplement pas normal. J’ai compris.
Je ne cherche pas à expliquer l’évidence. Mais les réseaux sociaux finissent sans doute par enlever la substance du message. Sur ces mêmes réseaux j’ai lu des hommes s’offusquer de la démarche, parce qu’eux n’avaient jamais eu ce genre de comportement. Heureusement nous le reconnaissons, ces hommes sont la normalité, et nous souhaitons qu’ils le restent ! J’ai lu des amis s’indigner de ce phénomène à la mode. Oui bien sûr la semaine prochaine les hashtag #balancetonporc et #meetoo auront disparu des radars au profit d’une nouvelle actualité, nous ne sommes pas naïves. Ces actes, pourtant, se poursuivront et ils tomberont à nouveau dans l’oubli. Mais il y a eu une brève prise de conscience, on s’est rendu compte que n’importe quelle femme, de n’importe quel âge, est touchée. J’essaye encore de comprendre pourquoi.
En réalité, nous écrivons et racontons à notre manière ces dépassements, ces agressions, parfois ces viols…Cette fois c’est un hashtag, la dernière fois c’était un reportage, la prochaine fois ce sera un livre ou un film. Je ne sais pas. Finalement que ce soit mondial, dans les tendances web ou parce qu’une célébrité l’a fait. Peu importe la forme, concentrons-nous sur le fond, le message. Pourquoi certains hommes ou femmes critiquent une démarche juste honnête. Qu’est-ce qui est gênant au final ? L’effet de masse ? L’utilisation des réseaux sociaux ou le fait de le dire tout simplement ? Je ne comprends pas.
Cette semaine des femmes ont pris cette liberté de se soulager d’un poids. Dire ou re-dire combien elles avaient souffert au moment où un homme a dépassé les limites. Une semaine pour raconter des choses qui, à leurs yeux, étaient graves. Promis, on ne prend qu’une semaine pour se lâcher, se confier et puis on vous rend le web. Après, on apprendra à avancer chacune à notre manière, sans hashtag, sans commentaire ou like, juste avec l’impression que nous ne sommes pas seules dans cette galère. Et ça vous l’avez compris ?
Amina Boumazza
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- Je suis l o-fondatrice d'Intymag.com. Journaliste depuis 7 ans j'ai travaillé avec plusieurs médias algériens et internationaux avant de lancer Intymag.com. Je suis une "journaliste du sur-mesure" car j'adore varier les formats, web, audio, texte, vidéo rien ne m'échappe ! Je m'intéresse aux sujets liés à la société et surtout aux thématiques qui touchent les femmes.
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